Un jeu vidéo doit-il être fun ?

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Il n’y a pas si longtemps, le JDG, célèbre vidéaste spécialisé dans le rétro-gaming, faisait état d’une certaine incompréhension vis-à-vis des contenus qui avaient le plus de succès auprès du public. “Du feat. et du fun”, c’est ainsi qu’il qualifiait ces vidéos visant à divertir le spectateur.

Est-ce que ce phénomène ne toucherait pas également le jeu vidéo ? La polémique autour de The Last of Us Part 2 est selon moi un exemple parfait pour tenter d’apporter une réponse à cette question. Décortiquons ensemble deux arguments majeurs.

La dictature du fun...

Le premier argument qui revient le plus souvent est “l’absence de gameplay”. Ces fameuses séquences où “il ne se passe rien”, qui pourraient être racontées dans une cinématique. Ces séquences où “l’on s’ennuie” semblent insupportables pour une partie des joueurs. Mais pourquoi ? Parce qu’elles n’opposent aucune résistance au joueur. Ils ont alors l’impression de perdre leur temps, parce qu’ils attendent du jeu qu’il leur résiste (même un tout petit peu). Et c’est de cette résistance que naît un sentiment de satisfaction lors de l'accomplissement de l’objectif.

Je me pose alors la question suivante : est-ce que les développeurs cherchent à mettre au défi le joueur ? Pour The Last of Us Part 2, je ne le pense pas. Le jeu vidéo est ici un support pour nous raconter une histoire. Les interactions servent à véhiculer des émotions, nous permettre de prendre part à cette histoire dans un notre rôle d’acteur-spectateur qu’aucun autre média ne peut nous faire endosser. J’irais même plus loin en disant qu’un challenge trop ardu nuirait à l’expérience de jeu, car la narration de l’histoire serait alors saccadée (une séquence perd énormément en intensité au bout de la dixième tentative). Naughty Dog l’a d’ailleurs bien compris dans son jeu, n’hésitant pas à nous proposer une aide in-game lorsque nous bûchons un peu trop longtemps sur une énigme.

La partie émergée de l'iceberg

Le second argument que je souhaite aborder concerne l’extrême violence dont le jeu fait preuve à plus d’une reprise. Je dois vous faire une confession : j’ai peur des jeux d’horreur. Le genre attise ma curiosité, mais je n’arrive pas à y jouer bien longtemps. Pourquoi ? Parce que ces jeux me font peur, ils me stressent. Jouer à ces jeux n’est pas amusant pour moi, il s’agit bien souvent d’une épreuve que je ne peux pas endurer plus d’une heure sans faire de pause.

Pourtant, ce genre connaît un franc succès depuis des décennies (et pas seulement dans le domaine du jeu vidéo), et je pense savoir pourquoi : il s’agit d’une sorte de “challenge psychologique”, dont on tire une énorme satisfaction pour avoir réussi à dépasser nos peurs.

Vous voyez où je veux en venir ? L’extrême violence de The Last of Us Part 2 n’est que la partie émergée de l’iceberg. Ces phases ne sont pas “fun”, le jeu nous force à faire des choses que nous ne voulons pas faire, à voir des choses que nous ne voulons pas voir et ce faisant, nous permet de mieux comprendre les personnes qui commettent et subissent ces actes. Elles nous montrent une part sombre de l’être humain à laquelle nous ne sommes pas habitués. Ces séquences, bien que difficiles à jouer manette en main, sont riches en enseignements et nous amènent à réfléchir de manière plus viscérale sur ces sujets, car nous avons, d’une certaine manière, pris part à ces horreurs.

Pour conclure, je pense que ces réflexions touchent un cadre plus général que celui du dernier jeu de Naughty Dog. Ces débats ont déjà eu lieu des dizaines de fois, notamment autour des jeux Quantic Dream. Pourtant, il s’agit là d’une utilisation très intelligente du média. Plus qu’un film, ces jeux nous mettent dans une position d’acteur-spectateur qui nous implique intimement dans l’histoire qui nous est racontée.

Les émotions y sont plus intenses, et le fun peut alors laisser place à quelque chose de plus profond. Le fun n’est pas l’ingrédient nécessaire à tout jeu vidéo. Ne bridons pas ce média. Au contraire, laissons les développeurs l’exploiter de toutes les manières possibles...

Auteur : Djidane
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